« Ce sont peut être les amas d’architectures amnésiques sur et autour de nos villes, accumulation de quelques décennies qui nous aident à mieux situer l’importance des civilisations perdues et des vestiges qui se lisent aujourd’hui davantage comme de véritables racines que comme de simples traces.
De Vesunna à Périgueux, que de contradictions, que d’inconnues, que de strates disparues dans les mémoires et les sols !
Le site archéologique de la domus des Bouquets est l’illustration tangible de la présence enfouie de la ville qui a donné naissance à « Périgueux ».
Ce site, il fallait le révéler et le protéger…
Avec noblesse. Avec tact. Avec netteté, dans la sensibilité et la culture d’aujourd’hui, par le moyen d’une architecture qui a le redoutable privilège de confronter sa présence aux fantômes antiques. Les rapports de l’histoire et de la modernité sont source architecturale de grande poésie à condition qu’ils soient francs, sensibles et justes dans la légitimité de l’acte de construire. Une dimension métaphysique naît de l’écart vertigineux et concret entre deux fragments du réel confrontés dans l’espace en quelques mètres et dans le temps en quelques millénaires.
Conscient des risques de la situation, j’ai proposé de m’en tenir le plus simplement à ces constatations, et donc de protéger et de révéler.
Protéger c’est évidemment au sens muséal créer les conditions de la conservation, protection contre l’eau, le soleil, le gel, mais c’est aussi protéger le site des agressions les plus graves, celles d’un environnement hétérogène et désinvolte.
J’ai proposé de créer les conditions d’une lecture déconnectée des constructions voisines gênantes : la DDE et les maisons de la rue Claude Bernard. Pour cela, un mur épais de 90 mètres a été construit, écran minéral capable de récréer un parc archéologique intégrant la Tour de Vésone, la domus de Vésone et en limite Nord, le mur d’enceinte du 3ème siècle.
J’ai proposé de couvrir la domus d’un parapluie large, haut et simple. D’une géométrie calquée, héritée du plan gallo-romain. A tel point que la sous-face absolument plane est une transcription déconnectée des plans couverts. Prétexte à quelques élégances graphiques faites de cette sobriété abstraite qui n’appartient qu’aux arts de notre siècle.
Sous cette nappe qui plane à environ 9 mètres au-dessus des murs antiques, le moins de perturbations possible. Quelques parois de verres faites de modules suspendus, les plus immatériels afin de jouer avec le paysage qui se développe autour. Quelques platelages de bois qui laissent voir les traces des murs, quelques graviers colorés pour rappeler des usages perdus.
Tout cela surtout pour révéler les plans de la ville perdue … plans lisibles dès l’arrivée sur l’ensemble du site, ainsi que de la mezzanine du musée. Les fouilles des petits péristyles au nord sont conservées – Comme la Tour de Vésone sera lisible à travers les arbres.
Le mur épais reçoit les pièces du musée lapidaire. La maison de Monsieur Taillefer est conservée en l’état, sauf pour quelques modifications mineures. Elle accueille les services et le bureau de la conservation.
Ainsi, toutes les mémoires du lieu seront-elles à la fois protégées et révélées aux regards de notre époque. »
Jean Nouvel